Les moteurs de recherche éco-responsables, alternative écolo ou intox marketing ? L’exemple ECOSIA

Ecosia

Avec une prise de conscience de plus en plus forte de la pollution  générée par le numérique, des alternatives dites écologiques dans les usages numériques se développent et parmi celles-ci, les moteurs de recherche éco-responsables. Sont-ils une véritable alternative verte ? 

La genèse du moteur de recherche

Le premier moteur de recherche éco-responsable, né en Allemagne, en 2010, ECOSIA, a été créé par Christian Kroll.  C’est un méta-moteur, c’est à dire que les résultats de la requête d’un utilisateur viennent  en réalité de plusieurs moteurs de recherche généralistes. Il est financé par la publicité: un revenu est obtenu à chaque clic ou achat par l’utilisateur sur un site partenaire. A première vue, ces deux éléments le rendent parfaitement similaire à un moteur de recherche classique. L’engagement écologique se dessine pourtant à travers les revenus publicitaires dont 80% sont reversés à des projets environnementaux et solidaires grâce à des partenariats avec des Organisations dédiées à l’écologie [1], principalement à la plantation d’arbres.  L’idée de son fondateur est de transformer le temps passé sur Internet en arbre et de lutter ainsi contre la pollution numérique. 

L’arbre, un anti-polluant à la mode

Les arbres représentent en effet un formidable outil de lutte contre la pollution pour de nombreuses raisons dont la principale et la plus connue est l’absorption du CO2, cause majeure du réchauffement climatique. La présence de forêts entraîne plusieurs autres effets positifs dont le refroidissement des températures par le réfléchissement de la lumière du soleil, atténuant le réchauffement climatique, l’augmentation de la biodiversité en abritant faune et flore diversifiées mais aussi la protection des sols de l’érosion ainsi que l’augmentation de leur productivité et de leur fertilité. La liste des bienfaits d’une forêt continue avec la génération de l’oxygène dont l’homme a besoin pour respirer, le nettoyage de l’air par l’absorption des gaz polluants et le filtrage des particules toxiques mais aussi la régulation du cycle de l’eau que ce soit pour en prévenir les inondations ou en augmenter le niveau souterrain.  

Des projets variés aux bénéfices multiples

En produisant des aliments et autres fruits, leurs cultures peuvent permettre de nourrir et faire vivre des populations locales. Le projet de reforestation de baobabs au Ghana en est un exemple.  Les femmes d’une communauté villageoise, via un collectif mis en place par Tree Aid avec ouverture d’un plan d’épargne, culture des fruits des baobabs, s’autonomisent financièrement et participent dorénavant aux frais médicaux et scolaires de leur famille [2]. D’autres projets pourraient également être cités, alliant accompagnement d’associations sur place et populations locales dont une pépinière en Ouganda, qui permet, au-delà de la reforestation, de préserver le peuplement de chimpanzés [3]

Une entreprise sociale

Avec une conjugaison d’autant de bénéfices, la démarche d’ECOSIA ne peut qu’être considérée comme un bienfait pour l’environnement. Selon des données publiées par l’entreprise, au début de l’année 2019, près de 50 millions d’arbres auraient été plantés pour 8 millions d’utilisateurs mensuels [4].  Chaque mois, un bilan financier est publié via les réseaux sociaux indiquant le montant total des revenus, le montant des charges ou encore le nombre d’arbres plantés, appuyant la politique de transparence de l’entreprise. ECOSIA a servi de modèle et sur son exemple, des initiatives similaires sont nées offrant des alternatives à l’utilisation du géant Google. En France, par exemple, le moteur de recherche écologique LILO [5], projet mené par Clément Le Bras et Marc Haussaire, actif depuis 2014, reverse 5% des revenus publicitaires à un programme de compensation carbone volontaire mené par des organisations environnementales et 50% de son chiffre d’affaire à des projets sociaux ou environnementaux.  L’entreprise Allemande est allée encore plus loin dans la démarche écologique et solidaire, en annonçant, en octobre dernier, qu’elle basculait sur le modèle économique non lucratif [6] : aucun bénéfice ne peut dériver de la vente d’actions de la société, aucune action ne peut être détenue par des personnes externes à la société, aucun bénéfice ne peut-être versé aux actionnaires de la société. Aucun soupçon ne subsisterait sur une quelconque motivation économique couverte par un engagement écologique. Ecosia épouse donc les deux dimensions écologiques et sociales dans son projet.

De la modération des vertus écologiques

Des doutes planent sur les avantages environnementaux de ces moteurs de recherche éco-responsables auxquels s’ajoutent des critiques générales sur une médiocre performance des résultats des requêtes de recherche, (Ecosia utilise Bing et Microsoft pour générer ses résultats, considérés comme moins précis et performants que Google), ou sur une protection des données aléatoire nécessitant la démarche volontaire de l’utilisateur pour désactiver l’option de collecte de celles-ci.

Décarboner ou dépolluer, un impact environnemental inégal

Quand la dépollution consiste à supprimer la source de pollution des milieux naturels, la compensation carbone a pour objectif d’atteindre un équilibre entre émissions de CO2 et capacité d’absorption de celles-ci à travers l’investissement dans les énergies renouvelables ou la plantation d’arbres notamment. Mais d’une part, l’efficacité de cette dernière n’est à ce jour pas prouvé et d’autre part, le système tend à la perversion. Payer pour compenser en s’octroyant le droit de ne pas modifier son comportement polluant [7]. La compensation carbone, sorte de blanchiment écologique relèverait donc plus d’une opération de relations publiques de la part des entreprises et ne représenterait pas une véritable arme de lutte  contre le réchauffement climatique. La plantation des arbres elle-même est remise en cause pour les choix géographiques effectués: les projets se situent majoritairement dans des pays qui polluent peu (Burkina Fasso, Ouganda, Tanzanie, Sénégal par exemple) [8]. Cet argument peut se contrebalancer par la dimension sociale et l’implantation des projets dans des pays dits en voie de développement. Par ailleurs, certaines espèces d’arbres, comme les peupliers, sont capables de stocker plus de carbone que d’autres. Pour arriver à compenser les émissions de gaz à effet de serre, en plantant suffisamment de ces arbres «stockeurs», il faudrait à terme détruire de nombreux écosystèmes naturels, supprimant diversité naturelle et augmentant l’impact environnemental sur la planète.

Le principe même des moteurs de recherche dits éco-responsables se base sur le Web et la consommation, cumulant deux phénomènes énergivores donc polluants. S’y ajoute en tant qu’élément majeur de la société de consommation, le financement par la publicité.

L’écologie comme nouvelle stratégie marketing

Une nouvelle stratégie marketing est à l’oeuvre avec ces moteurs de recherche écologiques. Elle aurait pour effet de contrebalancer en dé-responsabilisant le consommateur par l’utilisation d’un outil qu’il croit positif pour l’environnement. Opter pour ce type services donne au consommateur le sentiment de choisir dans quelle mesure il va contribuer à la détérioration de l’environnement. Paradoxe supplémentaire ou preuve irréfutable de leur fourberie, le fonctionnement favorise une surconsommation [9]. Avec l’idée que chaque recherche faite permet de planter des arbres, ils accentuent le phénomène de récompense, poussant l’utilisateur à cliquer plus pour planter plus.  Finalement ces moteurs de recherche ne seraient-ils pas des outils de promotion de l’un des maux de notre société contemporaine ?

 

 Au-delà d’une démarche profondément sincère d’ECOSIA, d’une idée originale,  levier de croissance pour les populations et les régions dans lesquelles les projets sont développés, à l’échelle individuelle, il faut se questionner sur l’apport effectif de l’utilisation d’un moteur de recherche comme ECOSIA. Certains gestes responsables auront un bénéfice environnemental plus important que le choix d’un moteur de recherche écologique: utilisation directe de l’adresse URL, limitation du nombre de fenêtres ouvertes et surtout opter pour une utilisation raisonnée d’Internet – en fonction du curseur qualifiant le raisonnable – car finalement c’est de l’utilisation que fera l’homme de l’outil qui en déterminera l’impact environnemental.

 

©Anne-Sophie Austry

[1] Pure Project, entreprise sociale accompagnant les entreprises pour respecter ou restaurer les écosystèmes via l’agroforesterie tout en impulsant des projets sociaux vers des communautés locales afin d’améliorer leurs conditions de vie We Forest, association encourageant à la reforestation par la plantation d’arbres

[2] Ecosiablog [En ligne], Le collectif de femmes qui combat la pauvreté grâce au baobab, https://fr.blog.ecosia.org/collectif-femmes-combat-pauvrete-baobab/

[3] Ecosiablog [En ligne], Il était producteur de charbon, https://fr.blog.ecosia.org/chimpanzes-charbon-et-arbres/

[4] RSE Magazine [En ligne], Ecosia, le moteur de recherche écolo qui a déjà planté 50 millions d’arbres, https://www.rse-magazine.com/Ecosia-le-moteur-de-recherche-ecolo-qui-a-deja-plante-50-millions-d-arbres_a3111.html

[5] Ulule [En ligne], Lilo – Bien plus qu’un moteur de recherche, https://fr.ulule.com/lilo-moteurderecherche/

[6] Ecosiablog [En ligne],50 raisons d’utiliser Ecosia, https://fr.blog.ecosia.org/50-raisons-dutiliser-ecosia/

[7] Le Monde [En ligne], https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/03/06/le-principe-de-compensation-carbone-est-il-efficace_5432105_4355770.html

[8] Youtube [En ligne], Ecosia c’est trop nul, https://www.youtube.com/watch?v=0LTosUgrtgo

[9] Aurélien Bernier, « Augustin Fragnière, 2009, La compensation carbone : illusion ou solution ?, PUF, 208 p. », Développement durable et territoires [En ligne], Lectures (2002-2010), Publication de 2009, mis en ligne le 20 janvier 2010. URL : http://journals.openedition.org/developpementdurable/8260