Design thinking et innovation ouverte, une approche centrée sur l’individu pour relever les défis mondiaux

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« earth », 4 août 2017 PIRO4D on Pixabay

Coupler ces deux concepts d’innovation pour affirmer relever des défis à l’échelle du monde parait ambitieux, pourtant un nombre conséquent d’entreprises à succès s’appuient déjà sur ces pratiques. Le recours à l’intelligence collective ne date certes pas du XXIe siècle, mais pour un marché qui se transforme à une si grande vitesse, il devient impératif. L’innovation vient de l’usager ; définir ses habitudes grâce au design thinking ou comprendre ses attentes grâce à l’innovation ouverte permet de dépasser des frontières qui s’imposent avec nos nouvelles pratiques de consommation.

Design thinking et innovation ouverte, chacun de ces deux concepts est éprouvé depuis maintenant plusieurs décennies. Que ce soit de la part des entreprises aussi bien que du milieu scientifique, ces derniers ont toujours suscité un vif intérêt. Cet attrait pour ces deux méthodes d’innovation s’est presque même généralisé, à tel point qu’aujourd’hui appliquer l’un ou l’autre de ces concepts peut parfois apparaître comme une habitude, une stratégie classique pour les entreprises dans leur manière de gérer le processus d’innovation. Pour autant, ils ne perdent pas de leur intérêt et conjuguer design thinking et innovation ouverte s’avère bénéfique pour les entreprises.

Au sein d’un marché complexe, incertain et en perpétuel changement, il convient de se demander comment le design thinking et l’innovation ouverte peuvent favoriser l’innovation des entreprises. C’est ce que cet article tentera de démontrer en s’attardant d’abord sur le contexte théorique et notamment la notion d’innovation ouverte, puis sur l’apport d’une utilisation conjuguée du design thinking et de l’innovation ouverte, avant de voir le cas d’une organisation qui applique ces deux concepts dans un contexte éthique et solidaire : OpenIDEO.

L’innovation ouverte

Formulé en 2003 par Henry Chesbrough, un professeur d’université américain, le concept d’innovation ouverte, open innovation en anglais, a réussi en quelques années à devenir l’un des grands thèmes du management de l’innovation. Avant d’atteindre le monde de l’entreprise, l’idée d’innovation ouverte s’était déjà répandue au sein de la littérature académique, avec un grand nombre de travaux de recherche qui se poursuivent encore aujourd’hui. Le sujet a ensuite été repris par des institutions internationales (OCDE [1], Commission européenne [2]) avant d’être adopté par de grands groupes autant que par des PME.

L’innovation ouverte consiste pour les entreprises à ouvrir leur processus d’innovation et à importer des connaissances, des savoir-faire, des technologies, des compétences depuis l’extérieur (outside-in) et en retour à les exporter vers d’autres entités (inside-out). Il n’est donc plus seulement question de recruter les meilleurs talents pour développer leurs idées au sein des départements internes de recherche et développement (R&D), mais bien de profiter de connaissances externes qui offrent de nouvelles perspectives à l’organisation tout en réduisant les délais, les coûts et les risques. Ce concept de collaboration, de partage, ne date évidemment pas du début du XXIe siècle, de nombreux auteurs avaient déjà dès les années 1980 mis en avant l’importance de l’innovation collective, mais c’est le fait que Henry Chesbrough théorisa ce concept et lui donna une terminologie unique qui le popularisa [3].

Pour bien comprendre ce qu’est l’innovation ouverte, il convient également de définir ce qu’est l’innovation fermée. En vérité ce concept est pratiquement impossible à appliquer aujourd’hui. Il s’agit d’une stratégie tout au plus. Une entreprise qui ferait ce choix de contrôler entièrement son processus d’innovation se fermerait à des technologies, des procédés ou des méthodes venant de l’extérieur et travaillerait en dehors de toute collaboration avec des experts du marché, des fournisseurs, des universitaires, des concurrents, etc. Ainsi, elle se priverait de nombreux moyens de valoriser son invention, y compris à travers d’autres entreprises qui pourraient y ajouter des ressources complémentaires. De la même manière, une entreprise qui innoverait en interne et qui ne partagerait pas ses compétences avec l’extérieur renoncerait à des redevances générées par la concession de brevet et notamment de brevets dormants ou inexploités.

Adopter l’innovation ouverte a donc bien des avantages parmi lesquels :

  • La réduction des délais de commercialisation
  • La réduction des coûts de recherche et développement
  • Le partage des risques
  • La possibilité d’ouvrir de nouveau marché et d’expérimenter de nouveaux produits
  • La création de nouveaux revenus grâce à la vente de propriété intellectuelle

L’innovation ouverte c’est aussi la capacité pour une entreprise à créer de la valeur en impliquant les clients dans le processus d’innovation afin de mieux comprendre leurs expériences et leurs attentes vis-à-vis d’un produit ou d’un service. Il y a donc tout un processus de récolte et de traitement de l’information qui peut passer par différentes technologies, la plus connue étant l’open source, qui est à la base de l’innovation ouverte, mais aussi le crowdsourcing ou des initiatives comme Connect & Develop, un programme lancé en 2001 par la multinationale américaine Procter & Gamble [4]. Ce dernier consiste à ouvrir au public la banque de brevets appartenant à l’entreprise afin que n’importe quelle personne puisse soumettre une innovation, proposer de valoriser un brevet, développer de nouvelles idées, etc. Ces méthodes complémentaires, que l’on conjugue avec l’innovation ouverte, permettent donc de transformer l’innovation dirigée par les entreprises, en une innovation conduite par les utilisateurs. Et le design thinking participe également de ce processus.

Design thinking et innovation ouverte

Teamwork makes the dream work
« Teamwork makes the dream work », photo 27 janvier 2018 Dylan Gillis on Unsplash

Nous l’avons vu plus tôt l’innovation ouverte constitue aujourd’hui une tendance à laquelle les entreprises peuvent difficilement échapper. Mais face à l’impératif d’innover toujours plus et plus vite, ces entreprises se tournent vers d’autres méthodes complémentaires d’intelligence collective. Plusieurs démarches s’offrent à elles, parmi lesquels le crowdsourcing, par exemple, mais également le design thinking.
Bien que les deux concepts interviennent aux mêmes phases pour un résultat relativement similaire, le premier repose néanmoins sur une participation active des utilisateurs, tandis que le second est plutôt fondé sur l’observation et la réflexion autour des pratiques de consommation des individus. Dans sa phase d’idéation, le design thinking n’est donc pas destiné à proposer un produit fini et utilisable, mais il permet d’établir une compréhension des usages utile pour déterminer les méthodes, les technologies ou les savoir-faire nécessaires aux phases suivantes [5]. Grâce aux trois contraintes sur lesquels il repose : la désirabilité (comprendre quelles sont les attentes des consommateurs), la faisabilité (définir ce qui est réalisable et fonctionnel) et la viabilité (étudier ce qui peut être intégré dans un modèle économique durable) [6], le design thinking peut donc s’adapter facilement au processus d’innovation d’une organisation.
Si le concept de pensée design peut donc être associé à celui de l’innovation ouverte, l’inverse est également vrai. Dans la phase d’idéation, l’apport de l’innovation ouverte peut permettre de contribuer à l’emploi de connaissances substantielles extérieures et donc de participer à la création de nouvelles idées.

La combinaison du design thinking et de l’innovation ouverte peut donc permettre à une entreprise d’être plus dynamique et flexible et ainsi d’obtenir un avantage concurrentiel grâce à des offres clients améliorées. Un des autres avantages à combiner pensée design et innovation ouverte est l’augmentation de la vitesse de mise sur le marché d’un nouveau produit lorsque l’entreprise est ouverte à des sources externes pendant la phase d’idéation. Puisqu’en effet s’appuyer sur des ressources venant de l’extérieur permet d’acquérir des connaissances difficiles à obtenir en interne [7].

Pour les raisons exposées ci-dessus le design thinking est parfois considéré comme un véritable catalyseur pour l’innovation. Même si peu d’études portent sur son efficacité couplée à l’innovation ouverte on peut néanmoins citer quelques exemples célèbres de réussite, parmi lesquels celui d’OpenIDEO.

Le cas d’OpenIDEO

Fondé en 2010 par l’entreprise de design américaine IDEO, OpenIDEO est une plateforme d’innovation ouverte qui s’appuie sur le design thinking et qui a pour but de connecter les personnes pour résoudre toutes sortes de problèmes mondiaux à fort impact.
Que ce soit en ligne ou sur le terrain, OpenIDEO travaille avec des entreprises, des associations ou des communautés pour développer collectivement des idées et accélérer l’innovation sociale [8]. À la fin de l’année 2017, l’organisation avait complété 58 défis pour près de 16232 idées soumises [9].
Les projets d’OpenIDEO, aussi appelés défi, commencent par un appel à idées, cette idée est ensuite améliorée en collaboration sur la plateforme. Toute personne âgée de plus de 13 ans peut contribuer à relever un défi. Ces défis peuvent être en lien avec des problèmes sociétaux ou environnementaux comme le gaspillage alimentaire, l’éducation des enfants ou l’incarcération massive. Un des défis abordés par OpenIDEO a par exemple été : comment réimaginer l’expérience que représente la fin de la vie pour nous-mêmes et nos proches ? Comment penser la mort autrement ? Ce projet a été parrainé par Sutter Health ainsi que par La Fondation Helix et différents spécialistes de la médecine, du droit et de la religion se sont également joints à ce processus collaboratif. L’équipe d’OpenIDEO quant à elle a organisé un design challenge, défini les paramètres et établi un ensemble de buts et d’objectifs, parmi lesquels : réimaginer la mort afin de créer une expérience de fin de vie inspirée et inspirante ; honorer les traditions culturelles fondamentales et en tirer des enseignements ; explorer des partenariats avec des personnes, des groupes et des professions […] qui pourraient par la même représenter des ressources et un apport vital [10].

OpenIDEO est donc un exemple de réussite pour une organisation s’appuyant sur l’innovation ouverte et le design thinking.
Les défis sont pilotés par la communauté et les bénévoles qui construisent une intelligence collective basée sur l’échange de compétences et de savoir-faire, c’est là l’aspect « innovation ouverte » d’OpenIDEO. L’avantage d’une plateforme à cette échelle est également la diversité géographique des membres d’OpenIDEO qui offre un terrain d’essai plus large pour la phase de prototypage. L’aspect design thinking quant à lui s’appuie sur l’expérience d’IDEO qui fournit des conseils et aide, grâce au processus de la pensée design, à bien définir les défis et à établir des solutions et des prototypes de façon emphatique et créative [11].

An hand writing « Be creative »
« Be creative », 19 décembre 2016 Pixabay on Pixels

Conclusion

Face à des changements incertains et des cycles de vie de produits qui s’amenuisent, l’innovation doit sans cesse se renouveler, à tel point qu’il en devient difficile pour une entreprise d’innover seule. Le processus d’innovation se veut désormais plus ouvert, plus créatif, plus rapide, au service du bien commun et en faisant intervenir des méthodes tel que le design thinking. Les entreprises doivent pouvoir profiter du plein potentiel d’individus, internes ou externes à l’organisation, pour tirer profit ou partager leurs idées, leurs compétences ou leurs savoir-faire. C’est cette capacité à dépasser les frontières entre les disciplines et les secteurs d’activité qui favorise la créativité.

Tout ceci demande beaucoup de concessions ainsi qu’une profonde transformation des habitudes de production ou de la culture d’entreprise, mais en définitive l’utilisation du design thinking et de l’innovation ouverte peuvent favoriser l’innovation des entreprises. Il n’est pas nécessaire d’être un designer pour penser comme tel, le design thinking passe avant tout par l’élaboration d’une stratégie pour créer l’innovation, c’est l’essence même de la pensée design qui privilégie l’inventivité à la formalité.

Drawing of a brain
« Brain », 13 février 2017 ElisaRiva on Pixabay


Notes

[1] OCDE, Open Innovation in Global Networks, 2008. / K. de backer, V. Lopez-Bassols, C. Martínez, « Open Innovation in a Global Perspective : What Do Existing Data Tell Us ? », OECD Science, Technology and Industry Working Papers, vol.4, OECD Publishing, 2008.

[2] European Commission’s Directorate-General for Research & Innovation, Open innovation, open science, open to the world – a vision for Europe, Bruxelles, European Commission, 2016.

[3] J. Pénin (dir.), L’innovation ouverte – Définition, pratiques et perspectives, Paris, CCI Paris Île-de-France, 2013, p.7.

[4] M. Duval, « P&G, “Connect & Develop” : une expérience emblématique d’Open Innovation », Bluenove opening organizations, mars 2015. [Consulté le 05/05/20] URL : https://bluenove.com/blog/pg-connect-develop-une-experience-emblematique-dopen-innovation/

[5] A. Hemonnet-Goujot, D. Manceau, J. Fabbri, « Crowdsourcing ou design thinking : quelle démarche choisir dans la phase d’idéation ? », Harvard Business Review France, juillet 2019. [Consulté le 04/05/20] URL : http://www.hbrfrance.fr/chroniques-experts/2019/07/27242-crowdsourcing-ou-design-thinking-quelle-demarche-choisir-dans-la-phase-dideation

[6] T. Brown, L’esprit design : Comment le design thinking transforme l’entreprise et inspire l’innovation, Paris, Pearson, 2019, p.21.

[7] M. Eradatifam, A. Shahbazi, S. Heydarabadi, « The role of Design Thinking in Open innovation », 3rd International Conference on Applied Researches in Science & Engineering, Istanbul, décembre 2018, p.8.

[8] Frequently Asked Questions, OpenIDEO. [Consulté le 07/05/2020] URL : https://www.openideo.com/faq-general

[9] OpenIDEO, Rapport d’impact, 2017, p.17.

[10] T. Brown, op.cit., note 6, p.227-228.

[11] A. Iglehart, « OpenIdeo – Using Open Innovation to Tackle the Biggest Societal Issues », Technology and operations management, novembre 2018. [Consulté le 08/05/20] URL : https://digital.hbs.edu/platform-rctom/submission/openideo-using-open-innovation-to-tackle-the-biggest-societal-issues/

Bibliographie

C. Ayerbe, V. Chanal, « Droits de Propriété intellectuelle et innovation ouverte : les apports de Henry Chesbrough », Management international, vol.14, n°3, 2010, p.99-104.

D. Bageac, « L’innovation ouverte dans un contexte organisationnel », Thèse de doctorat en science de gestion, sous la direction de E. Reynaud, Université d’Aix-Marseille, 2013.

T. Brown, L’esprit design : Comment le design thinking transforme l’entreprise et inspire l’innovation, Paris, Pearson, 2019.

M. Eradatifam, A. Shahbazi, S. Heydarabadi, « The role of Design Thinking in Open innovation », 3rd International Conference on Applied Researches in Science & Engineering, Istanbul, décembre 2018.

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L. Heaton, « Innovation ouverte », Sciences, technologies et sociétés de A à Z, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2015, p.129-132.

T. Isckia, D. Lescop, « Une analyse critique des fondements de l’innovation ouverte », Revue française de gestion, vol.210, n°1, 2011, p. 87-98.
OpenIDEO, Rapport d’impact, 2017.

J. Pénin (dir.), L’innovation ouverte – Définition, pratiques et perspectives, Paris, CCI Paris Île-de-France, 2013.

Sitographie

C. Benoist, « Définition de l’Open Innovation selon Henry CHESBROUGH », Open innov’action, janvier 2015. [Consulté le 03/05/20] URL : https://openinnovaction.wordpress.com/2015/01/01/definition-de-lopen-innovation-selon-henry-chesbrough/

M. Duval, « P&G, “Connect & Develop” : une expérience emblématique d’Open Innovation », Bluenove opening organizations, mars 2015. [Consulté le 05/05/20] URL : https://bluenove.com/blog/pg-connect-develop-une-experience-emblematique-dopen-innovation/

A. Hemonnet-Goujot, D. Manceau, J. Fabbri, « Crowdsourcing ou design thinking : quelle démarche choisir dans la phase d’idéation ? », Harvard Business Review France, juillet 2019. [Consulté le 04/05/20] URL : http://www.hbrfrance.fr/chroniques-experts/2019/07/27242-crowdsourcing-ou-design-thinking-quelle-demarche-choisir-dans-la-phase-dideation

A. Iglehart, « OpenIdeo – Using Open Innovation to Tackle the Biggest Societal Issues », Technology and operations management, novembre 2018.
[En ligne – consulté le 08/05/20] URL : https://digital.hbs.edu/platform-rctom/submission/openideo-using-open-innovation-to-tackle-the-biggest-societal-issues/

T. Le Métayer, « L’Innovation Ouverte, pour une révolution des compétences », Linkedin Articles, décembre 2015. [Consulté le 04/05/20] URL : https://www.linkedin.com/pulse/innovation-ouverte-et-management-dyktiocratique-pour-une-le-metayer

Site web OpenIDEO. [Consulté le 07/05/2020] URL : https://www.openideo.com/