Les professionnels de l’enseignement peuvent-ils s’approprier les méthodes du design thinking

Enfants dans une salle de classe
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A l’origine issue du monde des designers, la méthode de créations d’objets a été étendue à d’autres domaines. L’agence américaine IDEO en est le fer de lance. Son PDG Tim Brown, utilise des méthodes de conceptions et crée des objets remarquables comme la première souris d’Apple. Mais son esprit visionnaire l’amène à utiliser ces méthodes de conception, de création dans des domaines moins attendus [1]. Le design thinking permet de détecter des besoins centrés sur les consommateurs ou usagers, et d’y répondre simplement grâce à un nouveau service ou produit. Ainsi elle se démarque et met en place des conditions de réalisation de projets collectifs et innovants qui touchent à tous les domaines et répondent au plus près des besoins de leurs utilisateurs. Cette méthode a fait ses preuves pour pouvoir prendre des décisions collectives et rapides. Elle permet aux organisations d’être à la fois plus réactives et agiles face aux évolutions du marché. Les tests sont rapides et proposent des solutions concrètes répondant à des problèmes nouveaux. Elle est appréciée par les clients qui voient en face d’eux des équipes innovantes et prolifiques.

En ces termes, le design thinking semble être la solution idéale pour les entreprises et organisations commerciales dont le vocabulaire lié aux notions de délais courts, compétences, clients, marketing, R&D. Cette méthode qui semble remplir ses fonctions en entreprise mais aussi dans les collectivités, l’humanitaire, les associations est également de plus en plus présente dans les écoles primaires et secondaires. IDEO crée publie également le design thinking for educators, un manuel pour comprendre et appliquer les méthodes de design thinking sur des problématiques qui interrogent professeurs et élèves mais écoles et partenaires du monde de l’enseignement.

Comment cette méthode peut- elle venir répondre aux problématiques réelles que rencontrent sur le terrain et quotidiennement les professeurs des écoles primaires et leurs élèves ?

Quelle est la méthodologie prônée par le design thinking pour l’enseignement et quelles en sont les appropriations les plus connues dans le monde et plus particulièrement en France ? Quelles sont les valeurs communes entre les professionnels de l’enseignement et ce processus de conception ? Comment se passe la réalisation concrète d’un défi dans une classe de CM1-CM2 ?

La méthode du design thinking classique et ses adaptations pour l’enseignement dans le monde et en France.

L’entreprise internationale de conseils et de conception IDEO établie à Palo Alto est aussi bien ancrée dans le monde des affaires que dans celui de l’éducation et s’inscrit en tant que chef de file de la pensée design. Elle définit la pensée design pour les professionnels de l’éducation comme

un processus de création qui vous aide à concevoir des solutions utiles en classe, dans votre établissement et au sein de votre communauté [2]

Le manuel de 80 pages vise à permettre aux professionnels de comprendre et d’appliquer les méthodes sans appréhension en détaillant et en expliquant la méthodologie du design thinking avec des ateliers concrets. Le manuel expose des cas concrets d’utilisation de la méthode pour repenser une salle de classe à travers le regard des élèves, répondre aux besoins des élèves qui ne cessent d’évoluer, re conceptualiser la création de programmes et leur enseignement, faire remonter des informations jusqu’aux instances dirigeantes. Ainsi les usages les expériences de design thinking peuvent être à l’initiative des enseignements, d’une école, d’un quartier ou d’une communauté.

La méthode fait face à ces problématiques qu’ Horst Rittel nomme les wicked problems. Le design thinking s’attèle à relever les défis que posent ces questionnements qui n’ont pas de solutions uniques, qui sont difficiles à décomposer en éléments plus simples sous peine d’en réduire la richesse ou la réalité.

Les problèmes auxquels l’école est confrontée sont nombreux… mais tous peuvent être considérés comme une chance pour vous de mettre en place des solutions innovantes et efficaces pour les classes, les écoles et les communautés [3]

Exemples :

les élèves ne s’intéressent pas aux fractions, déposer son élève à l’école et le récupérer est un cauchemar . La communication avec les parents est inefficace. Je ne parviens pas à maintenir l’attention de mes élèves. Il n’existe pas de réseau pour la communauté des enseignants. Le système de ramassage scolaire est chaotique. L’organisation de la classe ne s’adapte pas aux différents modes d’apprentissage et aux effectifs changeants. La gestion efficace de plusieurs niveaux d’apprentissage dans une même classe semble impossible. La communication actuelle entre l’administration et les enseignants ne permet pas à chacun de s’exprimer.

Le design thinking décrit pour les enseignants préconise son approche en cinq phases : découverte, interprétation, conceptualisation, expérimentation et évolution. Ces phases sont flexibles et doivent être adaptées par celui qui les utilise. Il doit se les approprier pour les adapter à son défi.

La phase de découverte consiste à comprendre l’enjeu que pose le défi de conception choisi. Et pour cela comprendre les besoins des personnes pour qui la solution va être créée. Cette phase permet de préparer les recherches et trouver des sources d’inspiration.
La phase d’interprétation consiste à extraire des interprétations significatives et donc donner du sens aux informations collectées (observations, visites de terrain, conversations). Pour cela il s’agit de trier et synthétiser les opinions en un point de vue affirmant une direction claire pour aller vers la 3ème étape.
La phase de conceptualisation consiste à générer le plus d’idées possible, qu’elles soient extravagantes ou non. Le brainstorming favorise l’émergence de nombreuses idées.
La 4ème phase consiste à expérimenter les idées retenues en leur donnant vie à l’aide de prototypes tangibles, qui même s’ils sont imparfaits permettent d’obtenir de susciter des réactions immédiates et des conseils d’amélioration de l’idée.
La 5ème phase est nommée phase d’évolution à la façon dont est gérée l’évolution du concept dans le temps. Son développement peut passer par des étapes de planification, de communication et de partage de l’idée. Même les plus petites traces de progression devront être conservées.

Ces phases sont une base de travail, une méthodologie pour avancer dans un projet. Elles ont été initialement expérimentées dans l’école de Riverdale [4] et ont permis la création d’une boîte à outils consultable dans le manuel design thinking for educators.

Le design thinking pour l’enseignement a créé des émules dans le monde et même si son nom a été modifié il a donné naissances à de nombreuses pratiques, courants de pensés ou engagements.

En 2000, Kiran Sethi [5], fonde le Réseau Design for Change à l’école de Riverschool, en Inde. Elle souhaite effacer les frontières entre l’école et la vie pour rendre les élèves acteurs du changement en les invitant à s’engager dans la société pour la faire évoluer. Avec sa méthode, elle entend développer l’élève dans son ensemble : scolairement et personnellement en l’aidant à s’affirmer.

Dans Design for Change on retrouve 4 étapes directement inspirées du design thinking : ressentir, imaginer, faire et partager. Pour cela les élèves envisagent un problème social sous toutes ses facettes, ils trouvent de nouvelles solutions qu’ils mettent ensuite en pratique pour contribuer à un changement réel. Ce dispositif est mis en place dans 75 pays du monde [6] et la France en fait partie.

En France, l’association SynLab, a pour mission d’accompagner les enseignants, les cadres et les formateurs à développer leurs potentiels pour porter la transition éducative. Le but de l’association est de faire le pont entre les acteurs du monde de la recherche et du monde de l’éducation. Pour cela l’association développe des formations avec les recherches menées par Kiran Sethi sur l’expérimentation du design thinking en milieu scolaire. La branche de l’association SynLab qui développe l’équivalent de la démarche du réseau international Design for Change en France s’appelle le réseau des Bâtisseurs de possibles.

Les Bâtisseurs de possibles [7] invitent à aider les enfants à exprimer leurs propres idées pour un monde meilleur et à les mettre en pratique. L’objectif est de rendre les élèves acteurs du changement, de leurs apprentissages, de leur vie et de la société. La démarche est inspirée du design thinking et plus précisément des 4 étapes retenues par Design for Change. A ces 4 étapes, les bâtisseurs rajoutent une étape zéro qui permet d’instaurer un cadre favorable à la collaboration des élèves entre eux pendant le projet. Leur slogan :

La démarche des Bâtisseurs de possibles « est un cadre de liberté qui va vous permettre d’accompagner vos élèves dans leurs questionnements et les aider à inventer des solutions pour la classe, l’école, le territoire ou le monde ».

Cette démarche pédagogique active permet d’accompagner les élèves dans un projet coopératif dans lequel ils tiennent un rôle central. Les élèves sont à la fois à l’initiative et les acteurs principaux du projet. Dans cette démarche de pédagogie de projet, les élèves sont placés en situation de résolution de problèmes, participant de fait au processus d’apprentissage. Les étapes du design thinking et ses adaptations sont cohérentes au niveau du système scolaire. Le design thinking, parfois traduit par « esprit créatif » ou « pensée créative » est également incarné par des valeurs qu’il convient de comparer avec celles du monde de l’éducation.

Le design thinking un état d’esprit comparable à celui de l’enseignement ?

Les valeurs défendues par la méthode du design thinking et celles des acteurs du monde de l’éducation trouvent des points de convergences. Les enfants sont tous encouragés à participer activement et à faire part de leurs opinions et de leurs idées car ils peuvent changer le monde. Le design thinking est une approche fondée sur l’humain. Placé au centre dans son concept de création, l’humain est le point de départ, puis l’acteur central pour trouver des solutions. L’empathie est au centre de la démarche permettant une réelle écoute des besoins et des motivations des personnes (élèves, enseignants, parents, personnels et administrateurs). Le design thinking, souvent traduit par « Esprit créatif » fonctionne en suivant un état d’éprit représenté par des valeurs telles que la collaboration, l’expérimentation et l’optimisme. Grâce à un travail de collectif de deux à cinq personnes, avec la possibilité de groupes élargis, le design thinking mise sur le fait que les différents points de vue se stimulent entre eux. L’esprit collaboratif base sa force sur la résolution collective d’un problème ou d’un défi. Aussi ce processus croit au côté expérimentale de la recherche de solution, favorisant ainsi tâtonnements, essais et erreurs. Car de fait un problème n’est jamais résolu une bonne fois pour toute et peut faire l’objet de retours en arrières et d’améliorations. L’aspect expérimental de la méthode favorise la prise de risque ainsi que l’apprentissage et la reformulation. De plus l’optimiste est intrinsèque au design thinking faisant à chaque nouvelle expérience le pari que chaque participants peut-être acteur du changement, quel que soit l’importance du problème, le peu de temps ou de budget disponible. Gageant ainsi que la création dépasse les contraintes existantes.

La pensée design est donc en harmonie avec les valeurs et les techniques pédagogiques prônées à l’école telles qu’une approche dynamique, créative et collaborative de résolution des problèmes. Elle amène les élèves à trouver et à organiser des informations, à collaborer les uns avec les autres et à créer des solutions sur la base d’une expérience et d’un retour d’information authentiques. L’optimisme de la méthode mise toujours sur l’avènement d’un monde meilleur. Le design thinking permet aux établissements de reconcevoir les espaces des élèves et leurs systèmes afin d’améliorer les expériences d’apprentissage [8]. Cette approche stimule la pensée axée sur la création et la conception, ainsi que les compétences de communication et le travail d’équipe. Elle permet aux élèves de prendre de croire en eux, stimulent leurs initiatives leur curiosité et par la même leur envie d’apprendre. Les valeurs du design thinking sont également des valeurs attendues, prônées et encouragées par le milieu scolaire.

Mains réunies d'enfants
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A travers quels cas concrets s’incarnent ces expériences réelles menées auprès d’élèves avec la méthode du design thinking ?

Le premier exemple est la réalisation d’un défi bâtisseurs de possibles mené dans une classe de CM1-CM2 de l’école primaire René Goscinny à Beaulieu-sous-la-Roche, l’enseignante s’appelle Sarah Horte [9]. Les élèves sont mobilisés sur le projet bâtisseurs de possibles en leur disant que les élèves peuvent avoir un impacte sur les choses. L’enseignant connait le cheminement mais ne sait pas au début du projet où il va. Il doit accepter cette zone d’incertitude. L’enseignant change de posture dans ce projet qui part des enfants. L’enseignante dit que dans ces projets elle doit se mettre de côté et se taire. Les élèves font ressurgir des problèmes qui les touchent. Ensuite une sélection du choix commun est faite suite à un débat du défi est débattu pour aboutir à un choix commun. Le choix retenu dans ce cas est la pollution. Les élèves réfléchissent grâce à un arbre des possibles aux conséquences et aux causes de la pollution. Ce travail est d’abord individuel puis confronté avec son voisin. Ensuite les élèves sont amenés à faire des maquettes sur leurs lieux de vie et les déchets qui en font partie. Des actions vers le changement sont envisagés : faire un composte, une campagne de ramassage des déchets, une campagne d’affichage. Des interlocuteurs ciblés sont sollicités les élèves et rencontrés pour apporter leur aide à la réalisation du défi. Les actions sont menées avec ou sans aides extérieures. Les apprentissages sont sollicités en permanence notamment le langage oral et le langage écrit. Ces messages ont un sens très fort pour les élèves qui s’investissent entièrement dans le projet. Les élèves défendent leur projet en faisant preuve d’une grande maturité. En classe, un retour sur le défi relevé permet aux élèves de se positionner sur ce qu’ils ont appris : trouver un problème, sa solution et savoir le partager. Ils font également le bilan sur ce qu’ils auraient aimé continuer à faire, sur ce qu’ils ont ressenti et sur ce qu’ils vont pouvoir faire. Les élèves se disent fiers d’eux, du travail du groupe. Ils portent leur propre projet, avec assiduité, responsabilité (même s’ils sont petits). Le défi terminé est réussi et valorisé. Ils ressortent un peu plus citoyens et éveillés.

À l’issue de chaque défi, les élèves découvrent qu’ils sont capables de résoudre des problèmes et d’améliorer des vies. Ils ont appris à collaborer, à penser de manière créative et à reproduire. Mais surtout, ils ont appris à définir le but de leur action, à comprendre ce qu’ils font et à faire les choses de manière stratégique [10]

L‘enseignement ne peut plus se contenter de déverser des savoirs sur les élèves. Les sciences de la pédagogie et de la didactique s’y attèlent depuis de nombreuses années. En ce qui concerne des défis réels, complexes, variés, les professionnels de l’éducation ayant toujours besoin de nouvelles perspectives, de nouveaux outils et de nouvelles approches. La pensée design semble être une méthode de résolution de problèmes adaptée. Celle-ci a fait ses preuves dans le monde industriel, mais aussi quant aux problématiques liées à l’enseignement et à l’éducation. Le fait de mener des projets et relever des défis collectivement avec les méthodes du design thinking permet aux élèves de se sentir confiants et optimistes, de se sentir capables de trouver des solutions aux problèmes des adultes. L’écoles en utilisant ces méthodes donne un vrai rôle aux enfants dans la société et donne un autre sens à l’école.


Notes

[1] Nicolas Beudon. « Qu’est-ce que le design thinking ? » article publié le 18/03/2015 [Consulté le 13/07/2020]. URL : http://nicolas-beudon.com/2015/03/18/design-thinking-1/

[2] URL : https://blogs.ibo.org/blog/2017/10/03/comment-la-pensee-design-donne-vie-a-lapprentissage/?lang=fr

[3] « Le design thinking pour les enseignants ». 2ème édition en libre accès [consulté le 10/07/2020].
URL : https://designthinkingforeducators.com/

[4] « L’école de Riverdale est une école indépendante de New York City accueillant des élèves de la maternelle à la fin du secondaire.

[5] Kiran Sethi en vidéo URL : https://www.ted.com/talks/kiran_sethi_kids_take_charge?language=fr

[6] D’après les sources du site « Bâtisseurs de possibles » [consulté le 05/07/2020]
URL : http://reseau.batisseursdepossibles.org/accompagnement/la-demarche-batisseurs-de-possibles/

[7] Informations et renseignements fournis par Flora Baret formatrice pour les bâtisseurs de possibles.

[8] URL : https://blogs.ibo.org/blog/2017/10/03/comment-la-pensee-design-donne-vie-a-lapprentissage/?lang=fr [Consulté le 07/07/2020].

[9] Vidéo sur le site bâtisseur de possibles [Consulté le 07/07/2020].
URL : https://youtu.be/_uSgiSqU5vQ ou http://reseau.batisseursdepossibles.org/accompagnement/la-demarche-batisseurs-de-possibles/

[10] Interview de Tod Baker [Consulté le 07/07/2020]. URL : https://blogs.ibo.org/blog/2017/10/03/comment-la-pensee-design-donne-vie-a-lapprentissage/?lang=fr