En matière d’élection, tout est permis … ou presque

UN CONTEXTE PARTICULIER EN FRANCE

Photo by Arnaud Jaegers on Unsplash
Photo by Arnaud Jaegers on Unsplash

Les séries policières américaines et françaises illustrent bien la différence de réglementation en matière de protection des données individuelles. En effet, lorsque outre Atlantique, les policiers américains utilisent  une vidéo équipée de reconnaissance faciale, ici, seule la vidéo surveillance est permise. Ceci est fait aux lois[5] françaises qui encadrent rigoureusement le recueil et l’utilisation des données personnelles et l’accès aux documents administratifs[6].

Un régime dérogatoire existe en matière d’élections

Toutefois, un régime dérogatoire existe et notamment en matière de communication des listes électorales, documents contenant les données personnelles (nom, prénom, date et lieu de naissance, adresse postale et physique) des électeurs sur multi support (PDF, .doc, CD ou USB).

En effet, conformément à l’article L. 28 du code électoral, les listes électorales sont communicables à tout individu, c’est-à-dire qu’un électeur, un candidat ou encore un parti ou groupe politique peuvent être en possession de ce document.

Outre la faible restriction dans l’utilisation définie par la loi qui est l’usage non commercial, engagement express donné par le demandeur qui peut être sanctionné d’un an d’emprisonnement surélevé de 15 000 euros d’amendes pour non-respect, les listes peuvent donc faire l’objet de traitement informatique.

Un profilage au dépit de l’électeur

Avez-vous déjà été confronté à l’appel téléphonique ou l’invitation personnalisée d’un parti politique à un meeting sans que vous ayez fait une demande express auprès d’eux ? Avez-vous aimé une page Facebook, liker un tweet de leur compte ou encore laisser un commentaire sur leur site Internet ?

C’est à partir de ce clic que le « profilage » commence.

Le Big Data a besoin de données et ces données sont récoltées à partir des bases constituées par la plateforme mise en place pour la campagne comprenant les comptes des réseaux sociaux, les formulaires de contact, les mails, … les sondages et les listes électorales.

Profils, messages, commentaires, émotions, photos, coups de gueule sont mis à la disposition du Big Data.La variété et la multiplicité des données n’est pas un souci pour le Big Data qui analyse en temps réel dans l’objectif d’apporter une information faible. Ainsi, lorsqu’un électeur aime une page d’un parti politique qui souvent lui a été partagée, il est fiché dans les listes des électeurs dits potentiels. L’analyse permise par le Big Data croisant ainsi des bases de données sensées ne jamais se rencontrer permet « même sous pseudonyme » de retrouver l’identité d’un électeur. Goûts, coup de gueule, photos, adresse, profession sont dévoilés au dépit de ce dernier.

Une frontière fragile à surveiller

Information personnalisée ou intrusion dans la vie privée ? Les nouveaux usages des réseaux sociaux et notamment l’arrivée du Big Data déstabilisent le principe du respect à la vie privée. La Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) a précisé le 8 novembre 2016[7] les conditions dans lesquelles les données issues des réseaux sociaux peuvent être utilisées et notamment en matière de stratégie électorale. Elle met l’accent sur le caractère illégal de collecte massive de données en l’absence d’information des personnes concernées. Elle rappelle également que la collecte doit être loyale et licite en respectant le droit à l’information et également le droit d’opposition des internautes électeurs.

Ainsi, deux profils sont dressés : le contact régulier et le contact occasionnel. Ce dernier peut devenir un contact régulier si et seulement si, il accepte de manière positive de l’être. La CNIL précise enfin que seules les opinions politiques des contacts réguliers peuvent faire l’objet de traitement. C’est pourquoi plusieurs sociétés proposant des logiciels de Big Data ont été contraintes de s’adapter[8]. La société NationBuilder par exemple, a ainsi retiré de leur plateforme le module fonctionnel permettant d’enrichir les bases de données avec les informations issues des réseaux sociaux grâce au simple renseignement de l’email de l’internaute.

Le croisement de données n’est donc plus permis pour le contact occasionnel et par conséquent, l’électorat potentiel. Outre cet aspect du droit à l’information, la CNIL veille également à la sécurité des données sensibles. En effet, il est rappelé la sanction administrative érigée à l’encontre du parti socialiste suite à la faille de sécurité constatée[9].

Une effervescence mitigée

Porte à porte, appel téléphonique, sondage, open data restent les moyens complémentaires à l’enrichissement des bases de données.

Outre la réglementation appliquée en France portant sur la protection des données, l’analyste et l’expert en Big Data restent les gardes fous à l’utilisation effrénée des données en matière électorale. Ce premier scrutin a permis de mettre en exergue qu’il est bien sûr absurde de croire que le Big Data après recueil des données, offre une analyse pertinente.

Rappelons, la création de l’application Knockin qui avait été créée spécialement pour Nicolas Sarkozy, l’application participative Gov prédisant Fillon au second tour ou encore l’expérimentation de cinq étudiants de l’école Télécom Paris Tech qui ont utilisé le big data[10], les réseaux sociaux et sondages pour prédire un duel Le Pen-Fillon au second tour… ce qui s’est soldé par une erreur de calcul.

 

Même si le Big Data électoral n’a pas trouvé écho en France comme il opère outre Atlantique, il n’en reste pas moins qu’il a permis d’optimiser l’action sur le terrain des équipes de campagne des partis politiques.

 

Références utiles
– La Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.
– Loi n° 78-753 du 7 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public et diverses dispositions d’ordre administratif, social et fiscal (Une grande partie des dispositions ont été codifiée dans la code des relations entre le public et l’administration).
– Article 9 du code Civil qui prévoit que chacun a droit au respect de sa vie privée.
– Articles L.16 et R.16 du code Electoral qui permet la communication de la liste électorale à toute personne sous réserves qu’elle n’use pas à des fins commerciales.
– Article 441-7 du code Pénal qui définit les sanctions encourus pour non-respect de l’article R.16 du code Electoral.

NOTES ———————————————————————-

[5] Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés

[6] Loi n° 78-753 du 7 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public

[7] https://www.cnil.fr/fr/communication-politique-quelles-sont-les-regles-pour-lutilisation-des-donnees-issues-des-reseaux

[8] https://usbeketrica.com/article/presidentielle-comment-la-france-est-entree-dans-l-ere-du-big-data-electoral

[9]https://www.cnil.fr/fr/faille-de-securite-de-donnees-sensibles-en-ligne-avertissement-public-pour-le-parti-socialiste et https://www.legifrance.gouv.fr/affichCnil.do?id=CNILTEXT000033373161

[10] http://www.lepoint.fr/presidentielle/presidentielle-les-deux-qualifies-pour-le-second-tour-sont-18-04-2017-2120431_3121.php

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