Comprendre la pollution numérique pour mieux la réduire

 

Avec la révolution numérique actuelle et le Big data qui l’accompagne, l’empreinte environnemental du numérique ne cesse d’augmenter. Si bien que l’on estime que le numérique a une empreinte annuelle équivalente à l’ensemble des vols civils mondiaux. [1] Quelles sont ces sources de pollution numérique et comment tout-un-chacun pourrait réduire l’impact qu’elles ont sur la planète ?

 

Définitions

Afin d’appréhender au mieux cette problématique, il est intéressant de revenir sur certaines notions.

Le numérique est un mot passe-partout qui désigne ici l’ensemble des possibilités et pratiques quotidiennes permises par le développement des technologies. [2]
L’essor du numérique, et principalement de l’informatique et de l’internet, nous a entraîné dans une société de l’information où de nouvelles formes notamment de communication, de divertissement, de production, de consommation, etc. sont apparues. Et tout cela pollue.

La pollution est définie comme une “dégradation de l’environnement par des substances (naturelles, chimiques ou radioactives), des déchets (ménagers ou industriels) ou des nuisances diverses” [3]. Principalement liée aux activités humaines, elle est un enjeu de santé publique, au niveau mondial comme individuel. En effet, la pollution est tout autant à l’origine de la destruction de la biodiversité que de l’apparition de maladies ou encore du réchauffement climatique. Ainsi, la pollution touche à 3 milieux (l’air, l’eau et les sols) et le numérique se retrouve responsable dans chacun d’eux.

D’accord, mais sous quelles formes ?

 

Les sources de pollution numérique :

Consommation d’énergie

La source de pollution qui semble la plus évidente est celle liée à la consommation énergétique du numérique. La production et l’utilisation d’énergie entraîne une pollution de l’air invisible qui, due au CO2, augmente l’effet de serre et le réchauffement climatique. L’électricité produite par combustion de matières premières (fioul, gaz, charbon) peut également polluer l’atmosphère de manière plus visible en y déposant diverses microparticules problématiques.

Omniprésent dans nos vies, le numérique a aujourd’hui un impact non négligeable. En effet, « le secteur des nouvelles technologies représente à lui seul entre 6 et 10 % de la consommation mondiale d’électricité, selon les estimations – soit près de 4 % de nos émissions de gaz à effet de serre » selon les propos de la fondatrice du groupement de chercheurs et ingénieurs EcoInfo relayés par le journal du CNRS.
Ceci est d’autant plus problématique que la tendance croisse, “à raison de 5 à 7 % d’augmentation tous les ans” selon le journal du CNRS toujours.
Cela est notamment explicable par l’évolution croissante de nos pratiques numériques. Selon le rapport sur l’impact environnemental du numérique publié en octobre 2018 par The Shift Project, « Les sources de la forte croissance de la consommation énergétique du Numérique sont multiples mais on peut, en première analyse, identifie 4 sources principales : le phénomène smartphone ; la multiplication des périphériques de la vie quotidienne (ou « connected living ») ; l’essor de l’internet des objets industriels (ou IIoT, Industrial Internet of Things) ; l’explosion du trafic de données. » [4]
Une forte évolution est également à prévoir compte tenu de la “mondialisation” du web. Aujourd’hui, la grosse majorité des responsables de cette pollution numérique sont les pays développés. Si seulement 40% de la population mondiale avait accès à internet en 2015, cela devrait atteindre les 90% en 2035. [5]

Nous savons tous que nos smartphones, tablettes, objets connectés, ordinateurs et autres équipements terminaux ont besoin d’électricité pour s’allumer mais nous avons tendance à oublier tout ce qui est mis en place autour pour qu’ils fonctionnent en réseaux. Sur les 10% de consommation mondiale d’électricité que représente la dépense électrique du numérique, moins d’un tiers (30%) est dûes aux équipements numériques. Les 70% restants sont la conséquence de la mise en service 24h/24 des réseaux (40%) et des data center (30%). [6]

Les data center, qui sont des centres de stockage et de traitement des données informatiques [7] sont utilisés par les entreprises pour organiser, stocker et conserver leurs grosses quantités de données. Ces gigantesques serveurs ont besoin d’énergie pour se mettre en route mais également pour être refroidis car, fonctionnels 24h/24 7j/7, ils surchauffent rapidement.

Les réseaux se doivent également de fonctionner en permanence puisqu’ils sont les antennes et routeurs qui permettent aux données de circuler.

On nomme équipements les appareils en contact avec les utilisateurs comme les ordinateurs, tablettes, smartphones, écrans, objets connectés, box, décodeurs TV, etc.
Les chiffres donnés plus haut à propos des équipements ne concernent que la consommation électrique liée à l’utilisation quotidienne des appareils numériques. Or, ces derniers polluent tout au long de leur cycle de vie.

 

La fabrication des équipements

Bien que difficile à estimer, la fabrication des équipements est une source de pollution assurément lourde pour l’environnement. 

En effet, cela demande non seulement une grosse quantité d’énergie pour créer et assembler les composants, qui viennent par ailleurs des quatres coins du monde, mais aussi pour extraire les matières premières dont ils sont faits. Cette consommation d’énergie cachée que l’on appelle “énergie grise” est, à l’inverse de la consommation énergétique liée à l’utilisation, relativement peu connue des consommateurs. Selon le dernier rapport du Shift Project [8], la production représentera 45% de l’empreinte énergétique totale du numérique en 2020.

Mais ce n’est peut-être pas ce qui est le plus alarmant pour la planète. Plus que la consommation d’énergie, c’est bien l’extraction qui pose problème. En effet, celle-ci détruit les éco-systèmes; pollue l’atmosphère, le sol et l’eau; a de forts impacts sanitaires et épuise nos ressources non-renouvelables (métaux, eau douce, ressources fossiles…). “Le sous-sol devenant moins rentable, l’exploration s’intensifie actuellement au fond des océans pour trouver les métaux rares et l’énergie fossile nécessaires” [9] affirme le groupe EcoInfo du CNRS. Ils ajoutent que “la demande pour les métaux utilisés dans les industries de hautes technologies (dont les TIC) a plus que triplé au cours de 20 à 30 dernières années”. Si bien qu’aujourd’hui il faudrait environ 60 métaux différents pour fabriquer nos équipements numériques.

Ceci est d’autant plus inquiétant que le processus augmente à mesure que la surconsommation d’équipements des ménages augmente drastiquement. Les utilisateurs possèdent en effet en moyenne de plus en plus d’appareils et les change de plus en plus régulièrement. Selon le CREDOC, en France en 2017, 94 % des plus de 12 ans étaient équipés d’un téléphone portable et 81 % disposaient d’un ordinateur. Cela équivaut à 6 fois plus d’appareils qui durent 3 fois moins longtemps qu’il y a 30 ans. [10]

Schéma : Impacts environnementaux de la production d’équipements numériques. Source : M2 Mavinum

 

Fin de vie et destruction des équipements

Les équipements sont régulièrement changés, souvent victimes de l’obsolescence programmée (qu’elle soit fonctionnelle ou purement marketing). Cela signifie que les appareils sont aujourd’hui conçus pour ne pas durer dans le temps. Pour les smartphones par exemple, dont la conception ne permet que rarement la réparation, la durée de vie est d’environ deux ans.

Lorsqu’ils ne fonctionnent plus, ils sont considérés par la réglementation comme des déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE) [11] dont la collecte est prévue car considérés comme dangereux. Ainsi, chaque DEEE devrait être pris en main et triés par un organisme spécifique afin d’en garantir leur réutilisation, recyclage ou valorisation. 

Or, la réalité est tout autre et nous offre une nouvelle source de pollution numérique. L’Université des Nations Unies a estimé en 2019 [12] qu’on ne collecte en moyenne que 40% des DEEE. [13] Quand ils ne sont pas oubliés dans nos armoires, une grosse majorité de nos déchets est abandonnée en pleine nature en Afrique ou en Asie, après avoir été les victimes d’un trafic illégal.

Le site Green IT rapporte en mars dernier selon une étude de L’ONG Basel Action Network (BAN) que “l’Europe exporte illégalement 352 474 tonnes de déchets électroniques par an, soit l’équivalent, selon nos calculs, de 2,5 milliards de smartphones”.  [14]

La grosse majorité de ces déchets exportés illégalement atterrissent dans les pays en voie de développement, l’Afrique arrivant en tête.  La décharge géante de matériel électronique d’Agbogbloshie, dans la banlieue d’Accra au Ghana fait partie selon une étude menée par la Croix verte internationale des 10 zones les plus polluées au monde. Cette décharge à ciel ouvert libère des composants nocifs pour l’environnement comme des plastiques non-biodégradables ou des métaux lourds (nickel, plomb, chrome…).

Tout cela nous donne les principales sources de pollution numérique, à savoir la production  et le mauvais recyclage des équipements électroniques mais aussi la consommation énergétique des équipements terminaux et des data center derrière nos actions numériques quotidiennes.

Schéma : Cycle de vie et pollution d’un équipement numérique. Source : M2 Mavinum

 

Revenons sur nos actions numériques, que pourrait-on changer au quotidien pour consommer moins d’énergie et réduire ainsi notre empreinte carbone ? 

 

Préconisations

Nous recommandons une liste non-exhaustive de gestes faciles, gratuits et efficaces à mettre en oeuvre pour limiter notre pollution numérique.

 

Éteindre sa box internet et ses équipements

Les fabricants de box internet sont montrés du doigt pour ne pas proposer de mode veille sur nos box internet. En 1 an, la consommation électrique d’une box équivaut à 10 ordinateurs portables allumés 8h par jour pendant 220 jours ouvrés. [15] En plus d’épargner la planète, éteindre nos appareils la nuit et lorsque nous ne les utilisons pas réduira le montant de nos factures d’électricité.

 

Raisonner notre façon de naviguer sur le web

Une recherche sur Google génère 20 milligrammes de CO2, ce qui équivaut à 7 tonnes de CO2 par jour rien que pour les recherches sur le moteur de recherche. Quotidiennement, c’est donc autant de pollution que 7 ans de chauffage d’un appartement parisien de 3 pièces. [16] Taper directement une adresse URL plutôt que passer par un moteur de recherche est donc meilleur pour l’environnement. 
Autre idée, celle de fermer les onglets inactifs qui s’actualisent même lorsque nous ne les consultons pas.

 

Réfléchir à notre façon de communiquer

Éviter au maximum d’envoyer des messages qui contiennent des images et autres fichiers volumineux. “L’envoi d’un mail avec une pièce jointe de 1 Mo dégage 19 grammes de CO2 et sa consommation électrique est équivalente à celle d’une ampoule pendant une heure.” [17]
Dans la même idée, limiter l’envoi d’email avec notre signature dotée de logos. Configurée par défaut même lorsque nous écrivons à notre voisin de bureau, celle-ci est souvent superflue. 
Trier nos vieux email afin d’éviter de stocker des informations inutiles.
Restreindre le nombre de destinataires en évitant de mettre la terre entière en copie.
En soit, limiter les interactions virtuelles “inutiles”.

 

Repenser nos manières de sauvegarder nos documents

L’effet rebond de la hausse des capacités de stockage de cloud est que nous avons tendance à stocker tout et n’importe quoi. Redéfinir ce que nous avons besoin de sauvegarder pour ne garder que les fichiers importants ferait une grosse différence.
Une autre solution est de privilégier le local (disque dur, clés usb) plutôt que le cloud et, le cas échéant, transférer plutôt via wifi que via données mobiles, ces dernières étant beaucoup plus coûteuses en énergie. A titre d’exemple, selon Frédéric Bordage, utiliser la 4G est 20 fois plus impactant qu’utiliser l’ADSL. [18]

 

Changer notre consommation de contenus audiovisuels

Puisque nous ne pouvons demander à personne d’arrêter de suivre sa série ou son youtuber préféré, nous conseillons ici de simplement baisser la qualité des vidéos. 
Lorsque vous regardez la télévision, utilisez la TNT plutôt que le boitier tv fourni avec votre abonnement internet.
Privilégier l’audio, moins énergivore que la vidéo, pour l’écoute de musique. 

 

Recycler nos équipements en fin de vie

Déposer nos DEEE dans les déchèteries ou chez les opérateurs plutôt que dans la rue, même le jour des encombrants limiterait le trafic illégal.

 

Réduire notre surconsommation d’équipements numériques et privilégier l’écoconception

Étant donné le fort impact lié à leurs productions, il est plus que recommandé d’entretenir et d’allonger la durée de vie de ses équipements. Il est également envisageable d’acheter plus responsable en se tournant vers des marques ayant choisi l’écoconception. Cette approche est selon sa définition officielle “une démarche préventive et innovante qui permet de réduire les impacts négatifs du produit […] sur l’environnement sur l’ensemble de son cycle de vie, tout en conservant ses qualités d’usage”. Pour les téléphones par exemple, à l’inverse de la plupart des fabricants chinois, certaines entreprises ont inclu une problématique environnementale et sociétale à la conception de leurs produits comme utiliser 100% d’énergies renouvelables ou concevoir des smartphones éthiques et modulaires conçus pour durer dans le temps. Il est également possible d’acheter des appareils reconditionnés à neuf. Si les initiatives sont bonnes, le rythme de renouvellement ne pourra ralentir que si les comportements changent. Selon une enquête de l’ADEME, “Les consommateurs se déclarent opposés à l’obsolescence programmée mais ils remplacent leurs téléphones portables encore en état de marche sans que cela leur pose de problème moral.” [19]

Maintenant que vous êtes au courant de ce que cela coûte à la planète, pensez-y la prochaine fois que vous avez envie de changer d’appareil.

 

NOTES :

[1] en phase d’utilisation uniquement, sans compter la production. Chiffres IATA 2013 repris par e-RSE.net dans un article en ligne.
Quel est l’impact environnemental d’Internet ? [Infographie], e-RSE.net, 2015 [consulté le 12/05/2019] https://e-rse.net/empreinte-carbone-internet-green-it-infographie-12352/#gs.anj3nn 

[2] VITALI-ROSATI, Marcello. (2014)  « Pour une définition du « numérique » ». In SINATRA & VITALI-ROSATI. Pratiques de l’édition numérique. Montréal. Les Presses de l’Université de Montréal. p63-75.

[3] Dictionnaire Larousse

[4] The Shift Project. Pour une sobriété numérique. 10/2018. https://theshiftproject.org/wp-content/uploads/2018/11/Rapport-final-v8-WEB.pdf

[5] e-RSE.net, op. cit.

[6] Numérique : le grand gâchis énergétique, Le Journal CNRS, 2018 [consulté le 12/05/2019] https://lejournal.cnrs.fr/articles/numerique-le-grand-gachis-energetique

[7] Définition Data Center : qu’est-ce qu’un centre de données, Le Big Data, 2017 [consulté le 12/05/2019] https://www.lebigdata.fr/definition-data-center-centre-donnees

[8] The Shift Project. op. cit.

[9] Matériaux, EcoInfo. [consulté le 10/06/19]  https://ecoinfo.cnrs.fr/materiaux/

[10] Appliquer la démarche d’écoconception aux services numérique,  Frédéric Bordage pour France Stratégie, 2019 [consulté le 10/06/2019] https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/f_bordage_2019-02-21-francestrategie-ecodesign.pdf

[11] Loi n° 2013-344 du 24 avril 2013 

[12] Le Monde en Face, Déchets électroniques : le grand détournement, février 2019

[13] Ces chiffres concernent non seulement les TIC mais aussi les réfrigérateurs, machines à laver et autre équipement électroménager qui font partie des DEEE.

[14] Déchets électroniques : l’Europe est-elle une passoire ? Green it, 2019 [consulté le 10/06/19] https://www.greenit.fr/2019/03/05/dechets-electroniques-leurope-est-elle-une-passoire/

[15] BORDAGE, Frédéric. Numérique : comment adopter un comportement plus écolo, Capital, 2019.
https://www.facebook.com/Capital.fr/videos/803283403403532/?v=803283403403532

[16] e-RSE, op. cit.

[17] Internet : le plus gros pollueur de la planète ?, Fournisseur-energie, 2018 [consulté le 12/05/2019] https://www.fournisseur-energie.com/internet-plus-gros-pollueur-de-planete/ selon les résultats de l’enquête menée par l’ADEME et relayée par le site Green IT 19 grammes de CO2 : l’empreinte carbone d’un e-mail selon l’ADEME, Green IT, 2011 [consulté le 12/05/2019] https://www.greenit.fr/2011/07/11/19-grammes-de-co2-l-empreinte-carbone-d-un-e-mail-selon-l-ademe/

[18] BORDAGE, Frédéric. op. cit.

[19] ADEME, Tiroirs pleins de téléphones remplacés : consommateurs et objets à obsolescence perçue.  06/2017 https://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/coop-201706_rapport.pdf