Les déchets d’équipements électriques et électroniques, la pollution visible du numérique – une fin de vie attractive

 

La société numérique qui semblait invisible, immatérielle amoncelle pourtant une quantité de plus en plus importante de déchets visibles, matériels, dont le traitement est  un sujet écologique majeur et actuel.

Quand le EEE devient le D3E

Avant d’être un déchet, il y a un équipement électrique et électronique. L’article R543-172 du code de l’environnement le définit comme “un  équipement fonctionnant grâce à des courants électriques ou à des champs électromagnétiques, ainsi que les équipements de production, de transfert et de mesure de ces courants et champs, conçus pour être utilisés à une tension ne dépassant pas 1 000 volts en courant alternatif et 1 500 volts en courant continu”Classés dans différentes catégories, la septième englobe les petits équipements informatiques et de télécommunications, (dont toutes les dimensions extérieures sont inférieures ou égales à 50 cm), les téléphones portables, GPS, calculatrices de poche, routeurs, ordinateurs individuels, imprimantes, téléphones. Ce sont les équipements dits “gris” liés aux technologies de l’information et de la communication. L’équipement électrique ou électronique connaît un cycle d’utilisation plus ou moins long. À la fin de celui-ci, il ne devient pas obligatoirement un déchet au sens de la loi du 15 juillet 1975, le “résidu d’un processus de production, de transformation ou d’utilisation, toute substance, matériau, produit, ou plus généralement tout bien meuble abandonné ou que le détenteur destine à l’abandon”. Avant l’abandon, il peut passer par d’autres étapes, la réutilisation en seconde main, le reconditionnement impliquant réparation puis réutilisation mais aussi le recyclage avec la récupération des matériaux à valeur économique.  Il finit par acquérir le statut de déchet quand le produit est laissé à l’abandon sans plus d’intention d’usage. Différentes raisons entraînent cette mise au rébus:  l’équipement est devenu hors d’usage; l’équipement peut être réparé mais le coût de la réparation est prohibitif; un des éléments le composant est hors d’usage; enfin étant devenu obsolète, il est remplacé par un équipement récent (Flipo, Boutet, Deltour, 2006).

Les D3E, des déchets particuliers

Par une composition variée et complexe dépendant du type d’équipement dont il s’agit, mélangeant des métaux ferreux (acier) et non-ferreux (cuivre, cobalt, tantale par exemple), des métaux précieux (or, argent), du plastique, de verre voire des composant dangereux, le devenir de ce type de déchet représente un enjeu à la fois économique et environnemental. L’assise légale et l’organisation de la filière, en France, date du début des années 2000, avec la transposition de plusieurs directives européennes.

Règlementation européenne Règlementation française
Directive 2002/96/CE: WEEE/DEEE Décret n°2005-829, 20 juillet 2005 codifié aux articles R543-172 et R543-206 du code de l’environnement
Décret n°2012-617 du 2 mai 2012
Décret n°2014-928 du 19 août 2014
Directive 2002/95/CE: RoHS/LdSD Décret 2013-988, 6 novembre 2013 codifié aux articles R543-171-1 à R543-171-12

Arrêté du 30 juin 2014 sur le registre des producteurs

Arrêtés du 1er août 2012, du 19 décembre 2012 et du 15 octobre 2013 sur l’agrément des éco-organismes

Arrêté du 20 août 2015 sur la procédure d’agrément et le cahier des charges des éco-organismes

Table récapitulatives des principales directives européennes et leur transposition 

Une économie du déchet structurée et lucrative

Des éco-organismes agréés par l’Etat auxquelles les entreprises adhèrent, se sont constitués et spécialisés dans les traitement des D3E. Leur rôle de chef d’orchestre est de coordonner les différents intervenants du secteur pour la collecte, le traitement, le contrôle et l’information autour des D3E.

ECOLOGIC Collecte et recyclage de l’ensemble des DEE ménagers et professionnels hors lampes
ESR Fusion d’Eco-Système et Récyclum pour la collecte et recyclage des D3E ménagers et des D3E professionnels, des lampes et petits extincteurs

Table de deux des principaux éco-organismes français

Combinés au principe de la responsabilité élargie du producteur, les entreprises intègrent dans leur prix de vente via l’éco-participation, les frais de gestion du devenir de leurs produits auprès des éco-organismes. Ceux-ci vont organiser la collecte, le tri et le traitement du déchet d’équipement électrique et électronique. Plusieurs objectifs sous-tendent cette démarche. L’objectif environnemental viserait à limiter le gaspillage des ressources naturelles utilisées dans leur fabrication et à éviter la dispersion des matières polluantes qu’ils contiennent. L’objectif économique serait de valoriser les D3E, c’est à dire, leur donner une valeur marchande qui trouverait un acteur économique disposé à l’acquérir car il génèrerait un profit pour le réutiliser, le réparer ou le détruire. Différents acteurs économiques interviennent dans cette dernière étape du cycle de vie du déchet sous la surveillance et le contrôle des éco-organismes. Il y a d’abord les collecteurs, spécialisés dans le rachat et le transport des D3E puis les opérateurs de traitement et enfin les gestionnaires des déchets dits ultimes que sont les incinérateurs, les cimenteries ou les centres d’enfouissement technique. En 2017, en France, 558 sites de traitement et 1829 installations de traitement ont traité 742 333 tonnes de D3E. Cette structuration étoffée révèle la rentabilité du secteur.  Le traitement d’un déchet d’équipement électrique et électronique se décompose d’un côté avec les différents types de traitements existants (Flipo, Boutet, Deltour, 2006) et de l’autre, les étapes du traitement lui-même. Pour les premiers, peuvent être cités la réutilisation de l’équipement entier, la réutilisation de pièces de l’équipement, le recyclage de matières de l’équipement, la valorisation énergétique de l’équipement ou l’élimination simple de l’équipement. Pour les deuxièmes, à son arrivée dans un centre de traitement, un déchet passe par différentes phases chronologiques: le démantèlement pour séparer les différents composants et la dépollution pour extraire les substances polluantes, le broyage des équipements, la séparation des différents métaux et plastiques (qui utilisent différentes méthodes telles que l’électromagnétisme, le tri optique, ou les courants de Foucault). Un D3E peut ainsi être recyclé à près de 75% de son poids (Fangeat, Deprouw, Jover, 2018).

Une écologie du déchet à améliorer

Avec l’évolution actuelle de la société numérique, tendant à une augmentation des utilisateurs entraînant une accélération de la production d’équipements électriques et électroniques et finalement un accroissement des déchets, l’enjeu sociétal et écologique se pose. L’intérêt économique des acteurs du secteur restant prioritaire, la marge de progression vers une meilleure prise en compte de l’environnement est-elle encore possible ? Le secteur devrait chercher à optimiser le rendement des différents traitements pour répondre au renouvellement accéléré des produits et à leur composition parfois changeante. Cependant, les techniques sont peu évolutives en raison de leur coût et nécessitent le recours à une main d’oeuvre manuelle générant un coût économique supplémentaire (Bohas, 2017). S’ajoute la difficulté de calculer précisément l’évolution des gisements des déchets d’équipements électriques et électroniques et le volume à traiter, limitant les investissements dans ce sens. Le développement d’une filière spécifique par type de déchet représenterait une solution idéale, peu envisageable en raison des coût engendrés, du renouvellement accéléré des produits ou de leur composition variable (Flipo, Boutet, Deltour, 2006). L’objectif principal ne serait-t-il pas finalement, de mener des opérations de traitement à moindre coût sans compter les taux de matières recyclées ou la réduction de la pollution. Les acteurs du secteur veulent s’assurer que le différents moyens déployés ne dépassent pas les profits retirés de la valorisation du D3E.  Par ailleurs, les D3E issus de secteur hautement stratégiques ou dangereux sont exclus de la filière de traitement et de valorisation. C’est le cas notamment pour les déchets d’équipements électriques et électroniques contenant des données sensibles venant par exemple de certaines institutions publiques comme la Défense. Les D3E utilisés dans le domaine du nucléaire sont aussi concernés. Certains équipements, en raison de leur teneur probable en radioactivité, ne sont pas intégrés dans un cycle de traitement. Mis en attente, ils sont considérés comme déchets sans filière immédiate.

 Du D3E au EEE, réflexion en amont

Les déchets du produit fini représentent une part infime, 0.05% du total des déchets générés au cours de la totalité du cycle de vie du produit. S’occuper de la dernière étape du cycle de vie, le traitement des déchets ultimes, ne prend finalement en considération qu’un aspect de la problématique des déchets des équipements électriques et électroniques. Il s’agit d’une chaîne inversée qui en conséquence semble favoriser le modèle économique du consommable rapide et changeable, allant à l’encontre de la philosophie de la réglementation européenne privilégiant la prévention et la réutilisation avant le recyclage. Repenser dans son ensemble le cycle de vie des EEE semble indispensable. Le développement d’une éco-conception qui inclurait la fin de vie de l’équipement en proposant l’emploi de matériaux facilement recyclables ou récupérables pourrait être envisagé. Certains éléments sont encore parfois mélangés, dispersés dans l’équipement rendant leur récupération complexe et coûteuse. L’allongement de la durée de vie des EEE pourrait également être améliorée notamment par l’extension de la durée de la garantie légale de l’équipement ou l’obligation pour le fabricant et distributeur de fournir des pièces détachées pendant une partie de la durée d’usage de l’équipement (Les Amis de la Terre, 2016). En parallèle, l’éducation du consommateur pour limiter le renouvellement des produits ou choisir des produits durables devrait être accentuée. Ces propositions se heurtent aux impératifs des producteurs et distributeurs dont la stratégie économique vise plutôt à l’obsolescence programmée des produits pour accélérer leur déclassement (une aubaine pour le secteur du traitement des déchets) et provoquer l’acte de consommation. L’indice de réparabilité qui sera étiqueté sur les EEE à partir de 2020 aura un rôle incitatif pour le citoyen qui pourra choisir d’intégrer une dose de durabilité dans son acte de consommation.

 

Le traitement des déchets d’équipements électriques et électroniques, en France, s’intègre dans un système structuré, réglementé mais dont la conception peut sembler inversée. Le système agit principalement sur le recyclage du déchet une fois collecté et non sur le déchet en devenir au moment de sa conception.  Les très faibles taux de réemploi et de réutilisation des déchets de ces équipements, moins de 2% en 2016 (Les Amis de la Terre, 2016), le soulignent alors qu’ils pourraient être un moyen de prolonger la durée d’usage et de retarder l’apparition du déchet.  Promouvoir des mesures sur l’allongement des durées d’usage retarde l’apparition du déchet mais ne l’évite pas. Optimiser le traitement des déchets doit nécessairement s’accompagner d’une amélioration de la conception de l’équipement. Le développement et la généralisation de l’économie circulaire pourrait être l’une des clefs.

 

Bibliographie

Bibliographie

ADEME, Erwann FANGEAT, Deloitte Développement Durable, Alice DEPROUW, Marion JOVER, Sarah CHOUVENC, Alexandra PENSEC. 2018. Rapport Annuel du registre des déchets d’équipements électriques et électroniques. 132 pages.

ADEME, [En ligne] Les filières à responsabilité élargie des producteurs, https://www.ademe.fr/expertises/dechets/elements-contexte/filieres-a-responsabilite-elargie-producteurs-rep, [consulté le 8 mai 2019] 

ADEME, Cédric OBERLE, Florine BELLION, Fanny CHAMPION, Cécile JOANNIN,  Francis CHALOT. 2016, Étude d’évaluation des gisements d’évitement, des potentiels de réduction de déchets et des impacts environnementaux évités. 121 pages.

Fabrice Flipo, Annabelle Boutet, François Deltour. Ecologie des infrastructures numériques. [Rapport de recherche] 2006, hal-00957825

Amélie Bohas. La gestion des DEEE en France : enjeux logistiques et durabilité. Supply Chain Magazine, Supply Chain Magazine, 2017, pp. 76-77, http://www.supplychainmagazine.fr/TOUTEINFO/, Archives/SCM116/BILLET-DU-CRET-LOG-116.pdf, hal-02044712

Recyclum [En ligne], Les enjeux du recyclage, https://www.recylum.com/recylum/les-enjeux-du-recyclage/, [consulté le 10 mai 2019]

E-dechet, un service d’Ecologic [En ligne], https://www.e-dechet.com// [consulté le 10 mai 2019]

Institut National de la consommation [En ligne], Quelle fin de vie pour le matériel électronique, https://www.inc-conso.fr/content/quelle-fin-de-vie-pour-le-materiel-electronique-avec-lademe, [consulté le 8 mai 2019]

Ministère de la Transition écologique et solidaire [En ligne], Feuille de route économie circulaire,https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/feuille-route-economie-circulaire-frec, [consulté le 09/05/2019]

Florin-Constatin Mihai, Maria-Grazia Gnoni. E-waste Management as a Global Challenge (Introductory Chapter) . E-Waste in Transition – From Pollution to Resource , 2016, 978-953-51-24993.10.5772/64596 http://www.intechopen.com/books/e-waste-in-transition-from-pollution-toresource/e-waste-management-as-a-global-challenge-introductory-chapter- hal-01339063

Ecologic, [En ligne], Vidéo sur le cycle des vie des équipements électriques et électroniques, https://www.dailymotion.com/video/xve2q5, [consulté le 09/05/2019}

Les Amis de la Terre, 2016, Rapport, Les dessous du recyclage: 10 ans de suivi de la filière des déchets électriques et électroniques en France, 36 pages