Réalité virtuelle : un outil thérapeutique ou de dépendance ?

Femme portant un casque de réalité virtuelle
(c) Pixabay.com

C’est en 1957 (L, 2017) que naît le concept de réalité virtuelle : immerger l’utilisateur dans un monde imaginaire. Le premier prototype de casque de réalité verra le jour en 1968, d’autres seront créés dans les décennies suivantes mais sans réel succès. En effet, ce n’est qu’en 2010 avec la création du casque VR Oculus Rift, par Palmer Luckey que va démarrer la démocratisation de la réalité virtuelle. Après le lancement commercial par  Facebook en 2016 de l’Oculus Rift, HTC, Sony, HP et Samsung ont commencé à développer leurs propres casques VR. Aujourd’hui, la réalité virtuelle est utilisée dans de nombreux domaines : jeux vidéo, formation à la conduite, reconstitution de lieux culturels ou même pour des simulations d’opérations chirurgicales. La réalité virtuelle permet de recréer des environnements semblables à la réalité, ce qui peut constituer une échappatoire au monde réel. Elle est toutefois aussi l’objet de nombreux débats autour de son utilisation excessive qui peut causer des addictions chez les jeunes qui l’utilisent notamment dans le cadre des jeux vidéo. Paradoxalement, la réalité virtuelle est de plus en plus utilisée en thérapie, elle est aussi un moyen de soigner. 

La réalité virtuelle : un outil addictif ? 

Une addiction consiste à avoir des comportements humains d’autostimulation du plaisir et de modification du rapport au monde, pouvant comporter des risques et donner lieu à des dommages (Morel, 2006).  

Avec les récents casques, la réalité virtuelle est maintenant devenue un procédé informatique qui permet la simulation d’un environnement, réel ou imaginaire, au sein duquel un individu peut recevoir des stimulations multimodales (visuelles, auditives, tactiles, olfactives et/ou kinesthésiques) mais aussi produire des actions.     

A l’origine de l’addiction se trouve un manque, le patient est alors à la recherche d’un objet qui pourrait combler ce manque. Or l’environnement virtuel est une source d’addiction par son caractère éphémère et transitoire.  

L’environnement virtuel ne peut être permanent, si l’on prend l’exemple des jeux vidéo il ne dure que le temps d’une partie. Une fois sorti de l’environnement virtuel, le sujet se retrouve confronté à la réalité et ressent un état de manque. L’addiction au jeu vidéo reste une addiction mais elle a tout de même la particularité de ne comporter aucun risque collatéral comme l’addiction au jeu d’argent (Morel, 2006). Jouer dans un monde virtuel permet aux joueurs, à travers un avatar, de céder à leurs pulsions. Les actions réalisées et l’identité incarnée dans le jeu sont directement reliées aux désirs et aux besoins du joueur. 

C’est à la fois une échappatoire au monde réel mais aussi la possibilité de vivre dans un monde sans limites et sans conséquences. 

Ce qui caractérise l’addiction ce n’est pas l’objet de la dépendance mais l’usage qui en est fait (Rozaire, Guillou Landreat, Grall-Bronnec, Rocher, & Vénisse, 2009). C’est-à-dire le comportement qui résulte de la consommation du produit qu’importe sa nature. L’addiction apparaît lorsqu’un comportement normal devient pathologique, quand la consommation devient excessive et provoque alors de la souffrance chez le sujet. La réalité virtuelle exacerbe l’addiction au jeu vidéo. L’immersion est plus grande, le jeu plus réel et donc la réalité effacée (Virole, 2020). 

Le trouble du jeu vidéo est décrit dans le projet de la 11ème révision de la classification internationale des maladies comme un comportement lié à la pratique des jeux vidéo ou numériques (L’OMS reconnaît officiellement le trouble du jeu vidéo (gaming disorder), s.d.). Il se caractérise par une perte de contrôle et une priorité accrue accordée au jeu, au point de prendre le pas sur d’autres centres d’intérêt et activités quotidiennes, et par la poursuite ou la pratique croissante du jeu en dépit de répercussions dommageables. Pour être diagnostiqué, ce trouble doit entraîner une altération non négligeable des activités personnelles, familiales, sociales, éducatives, professionnelles ou d’autres domaines du fonctionnement et se manifester sur une période d’au moins 12 mois (Luquiens & Couteron, 2019).  

Ce qui permet l’immersion dans le monde virtuel, c’est l’identification à l’avatar qui se trouve dans le jeu contrôlé par le joueur.  

Les 4 types d’identification à un avatar 

L’identification imaginaire   

Lorsque le sujet crée son avatar, il se crée lui-même, il n’y a pas de dissociation entre l’avatar et lui, le sujet pense qu’il est lui-même l’avatar.

L’identification narcissique 

Le sujet se dissocie de l’avatar et voit à travers lui une manière de réaliser des prouesses et d’être reconnu et admiré contrairement à la vie réelle. Cette identification peut poser un problème dans la mesure où le sujet préfère passer du temps dans le monde virtuel que dans la vraie vie puisqu’il y éprouve beaucoup plus d’émotions positives.   

L’identification structurante 

Le sujet s’identifie à l’avatar de manière inconsciente, il le protège et le guide comme un parent le ferait pour un enfant. En aidant l’avatar à grandir, à mûrir sainement, le sujet développe aussi par la même occasion ses compétences. 

Les identifications croisées  

L’avatar est un compagnon de jeu pour le sujet. Le sujet a plus tendance à prendre soin de son avatar, ce qui a pour conséquence de faire grandir les deux parties. Il y a un échange réciproque de caractéristiques et de compétences. La différence avec l’identification structurante est que l’échange de compétences est conscient, le sujet désire aider l’avatar à s’améliorer, il est donc plus réceptif aux apports réciproques de l’avatar. 

La réalité virtuelle permet d’expérimenter et de vivre une autre réalité : en changeant d’apparence, en possédant de nombreuses compétences ou en étant reconnu pour ses exploits. Les possibilités sont sans limites et le sujet peut devenir qui il ne peut pas être dans la vie réelle.  

Le phénomène d’immersion de la réalité virtuelle fait adopter à notre cerveau un mode de fonctionnement particulier caractérisé par une absorption intense dans l’activité mais qui minimise les stimulations exogènes ce qui provoque un état de dissociation chez le sujet (Ahn, Bailenson, & Park, 2014). Le sujet se voit être absorbé dans le jeu et ses réflexes dits naturels s’en retrouvent atténués. La VR exerce aussi une influence sur la perception du temps du sujet. 

La réalité virtuelle a la capacité de faire ressentir au sujet le sentiment de n’être présent que dans cette réalité. Le cerveau du sujet peut certes percevoir des stimuli du monde réel mais il ne pourra pas les interpréter comme venant d’ailleurs. Le cerveau du sujet fera correspondre les perceptions auditives et olfactives qu’il voit dans la réalité virtuelle et non ce qu’il y a réellement autour de lui dans la réalité.  

La VR pour soigner les addictions 

Contrairement au simple jeu vidéo joué sur un écran, la réalité virtuelle, immerge le patient dans l’image qu’il perçoit, il vit alors une expérience. Le joueur devient l’avatar qu’il incarne, il n’y a plus le dédoublement avatar/joueur parce que le joueur ne perçoit plus l’avatar physiquement. Or, ce phénomène peut être exploité pour simuler des situations susceptibles de susciter des addictions et ainsi les soigner dans le cadre d’une thérapie. 

En effet, grâce à la réalité virtuelle, on peut induire un désir chez le patient, ici ce sera l’objet de la dépendance. Cela est possible en présentant des stimuli associés à l’objet de la dépendance du patient. Le but de la RV étant de provoquer les réactions de consommation pour identifier les éléments stimulateurs pour ensuite réaliser un travail de recadrage cognitif. Ce recadrage est possible en exposant le patient aux stimuli et en le faisant pratiquer des habiletés (comme attraper une balle) en réaction (Bouchard, 2022). 

D’ailleurs la réalité virtuelle a aussi l’avantage de pouvoir introduire des stimuli pour des substances illégales (cocaïne, méthamphétamine) dans le traitement des addictions, alors qu’en thérapie dite normale, il aurait été impossible de travailler avec.  

On appelle TERV, la thérapie par exposition à la réalité virtuelle qui expose volontairement le patient à ses troubles. Par exemple pour l’anxiété, le patient est confronté graduellement à ce qui lui fait peur pour la surmonter. Cette thérapie est réalisée grâce au système HMD (Head-Mounted Display) qui affiche des images pour chaque œil à une fréquence élevée, de manière que l’individu perçoive une scène stéréoscopique actualisée en temps réel. La thérapie peut nécessiter des manettes qui permettent au patient d’interagir avec son environnement virtuel. Les séances durent généralement entre 20 et 30 min et les patients doivent en réaliser au moins une dizaine pour qu’il y ait un réel effet sur lui.

La TERV a plusieurs avantages, elle permet de réduire les coûts pour les praticiens, mais aussi de ne pas confronter les patients à un réel danger. L’environnement est contrôlé contrairement à la thérapie réalisée dans la vie réelle où nombre d’éléments imprévus peuvent se produire. Grâce à cet environnement contrôlable de bout en bout, le praticien peut adapter les situations au ressenti du patient. Cela est possible par une évaluation régulière pendant la séance mais aussi entre les séances. Le praticien a aussi la possibilité d’intervenir sur l’environnement virtuel et voir le point de vue du patient alors que le patient, lui, perçoit directement l’environnement virtuel. 

Le principe de la TERV repose sur la reproduction de comportements qui se manifestent en environnement réel, en environnement virtuel, pour être modifiés ensuite en environnement réel. 

Pour que la thérapie fonctionne il faut que l’illusion du réel se produise, que le cerveau du patient soit trompé en pensant voir la réalité. Cela sera possible si le sujet peut se déplacer et interagir avec l’environnement virtuel mais aussi que ses interactions paraissent plausibles dans la réalité. 

La VR constitue l’expérience d’une réalité alternative et c’est ce qui permet au patient de pouvoir réussir sa thérapie. 

Il y a toutefois des limites à la réalité virtuelle : on remarque un déficit d’imitation ou de concordance avec la réalité à simuler, les mises en scène ne sont pas toujours crédibles, ne ressemblant pas assez à la réalité. De la même façon, le patient ne possède pas de corps qu’il peut percevoir dans la réalité virtuelle (Klein & Borelle, 2019). 

Depuis la médiatisation du concept auprès du grand public dans les années 1990, la réalité virtuelle et ses champs d’applications ont été étudiés tout comme ses effets sur les sujets. Comme nous avons pu le constater, la réalité virtuelle est utilisée notamment dans le domaine de la santé avec la thérapie par exposition. Elle permet de recréer un environnement dans le but de modifier les réactions comportementales. Le principe est d’introduire les stimuli qui entraînent l’activation du trouble en élaborant avec le sujet des réactions cognitives et comportementales plus adéquates en réponse aux stimuli (Girard, Turcotte, Bouchard, & Girard, 2009).

La réalité virtuelle est aussi utilisée pour les phobies, les troubles de l’anxiété, les syndromes post traumatiques, les troubles du comportement alimentaire, la remédiation cognitive et le stress. La réalité virtuelle n’est donc pas une méthode à négliger dans les processus de traitement thérapeutiques. Toutefois, depuis plusieurs années maintenant, la réalité virtuelle s’est aussi développée dans le domaine du jeu vidéo. Communément appelé « VR » pour Virtual Reality, la réalité virtuelle crée une illusion corporelle et une distorsion spatio-temporelle. 

Lorsqu’un joueur est en immersion dans un jeu, ses sens dans le monde réel sont diminués et il est absorbé dans l’action qu’il entreprend. Ce phénomène se couple au principe d’environnement virtuel et numérique semblable au simple jeu vidéo qui est objet de nombreuses addictions. Ce procédé technologique peut donc avoir de nombreuses vertus mais aussi être l’une des causes d’addictions.

Bibliographie 

Ahn, S., Bailenson, J., & Park, D. (2014). Short and long-term effects of embodied experiences in immersive virtual environments on environmental locus of control and behavior. Computers in Human Behavior, 39, pp. 235-245. 

Bouchard, S. (2022). Chapitre 14. L’utilisation de la réalité virtuelle dans le traitement des dépendances aux substances et aux jeux de hasard et d’argent. Dans S. Tisseron, & F. Tordo, Pratiquer les cyberpsychothérapies : Jeux vidéo. Réalité virtuelle. Robots (pp. 133-141). Paris: Dunod. 

Girard, B., Turcotte, V., Bouchard, S., & Girard, B. (2009). Crushing virtual cigarettes reduces tobacco addiction and treatment discontinuation. Cyberpsychology and Behavior, 12, pp. 477-483. 

Klein, N., & Borelle, C. (2019). Réalité virtuelle et santé mentale : La fin d’un art de faire ? Revue d’anthropologie des connaissances, 13, pp. 613639. 

L, B. (2017, Novembre). L’histoire de la VR en 7 étapes : de la sciencefiction à votre salon. Récupéré sur realite-virtuelle.com: https://www.realitevirtuelle.com/histoire-vr-7etapes-1511/ 

L’OMS reconnaît officiellement le trouble du jeu vidéo (gaming disorder). (s.d.). Récupéré sur MILDECA: https://www.drogues.gouv.fr/loms-reconnait-officiellement-le-trouble-du-jeu-video-gaming-disorder 

Luquiens, A., & Couteron, J. (2019). Cyber addictions et autres addictions comportementales. Dans A. Morel, Addictologie : En 47 notions (pp. 241-247). Paris: Dunod. 

Morel, A. (2006). L’addictologie : croyance ou révolution ? Psychotropes, 12, pp. 21-40. 

Rozaire, C., Guillou Landreat, M., Grall-Bronnec, M., Rocher, B., & Vénisse, J.-L. (2009). Qu’est ce que l’addiction ? Archives de politique criminelle, 31, pp. 9-23. 

<title>This is an example SEO title - Example.com</title>Virole, B. (2020). Jeu vidéo et principe de réalité. Enfances & Psy, 85, pp. 55-59.